Jean-Luc Fabre, vigneron atteint d’un cancer causé par les pesticides : «La santé passe avant tout»

Jean-Luc Fabre a présidé pendant 11 ans la Cave coopérative de Labastide. En 2012, il découvre qu’il est atteint d’un lymphome. Reconnu comme maladie professionnelle, ce cancer du sang change son regard sur les pratiques viticoles. Sa maison à Donnazac est entourée par les vignes. S’il a quitté la présidence de la cave coopérative en 2015, Jean-Luc Fabre est toujours à la tête de 28 ha. Au milieu de ce paysage si familier, il a accepté de témoigner sur sa maladie et le regard qu’il porte désormais sur les pratiques viticoles. Dans le vignoble gaillacois, ils sont peu nombreux à s’exprimer sur l’utilisation des pesticides et les conséquences qui peuvent en résulter. «Lorsqu’on m’a annoncé ma maladie, cela fait un choc. On se dit pourquoi moi. J’ai toujours gardé le moral. J’ai été bien entouré par ma famille. J’ai aussi rencontré les membres de l’association France Lymphome Espoir. Avec la maladie, il ne faut pas s’isoler, rester optimiste pour mieux se soigner. On n’est pas foutu. On voit juste les choses différement et on profite de l’instant présent».

Le soutien de la famille, des collègues et de l’association

En 2012, Jean-Luc Fabre est toujours président de la cave. Malgré la maladie, il va le rester jusqu’au début de l’année 2015. «Les collègues m’ont conforté. Ils m’ont laissé le choix. Cela m‘a motivé pour poursuivre mon activité.» En 2014, il y a la rechute. Il faut vivre avec les effets secondaires, la fatigue. Jean-Luc Fabre a une cinquantaine d’années. Il subit une chimiothérapie, une autogreffe du sang. Il «inaugure», c’est son terme, une chambre stérile à l’oncopôle pendant 3 semaines. «J’ai d’abord pensé à ma propre santé. Ensuite, l’élément déclencheur de mon action est d’apprendre que le lymphome est reconnu comme maladie professionnelle dans la viticulture. Je me suis rapproché du médecin du travail. Il a fallu se battre avant d’obtenir cette reconnaissance.» D’autres événements viennent percuter ses convictions de vigneron conventionnel. «La mort d’un viticulteur des Fédiès m’a interpellé. Le même âge que moi. Il est décédé au bout d’un an de la même maladie. Un autre viticulteur voisin est mort de la maladie de Parkinson. Elle est aussi reconnue dans le tableau agricole des maladies professionnelles depuis 2012.» Sans vouloir juger quiconque, Jean-Luc Fabre a envie de partager sa prise de conscience avec ses collègues. «Je voulais témoigner sur ce que je sais désormais et que j’ignorais ou voulais ignorer auparavant. Dans ma vie professionnelle, je reconnais que je n’ai pas tout fait comme il faut ; que l’on ne se protégeait pas bien. Que j’ai employé des produits nocifs, certains devenus interdits. J’étais le premier à râler lorsque ces produits étaient interdits alors qu’on avait encore des stocks. Avec le recul et surtout après ce qui m’arrive, mon regard a changé. Mais ce qui me met un peu hors de moi, c’est que des produits organochlorés ou organophosphorés existent toujours. J’ai décidé de faire une réunion à la cave coopérative. On n’était pas très nombreux, une quinzaine. J’ai exposé mon cas. Le médecin du travail était présent ainsi qu’un technicien viticole. J’ai dit qu’il fallait trouver un équilibre dans la gestion des entrants. Un équilibre entre les discours des magazines agricoles sur l’obligation de traiter et la vision un peu sensationnalistes des dangers de ces traitements dans certaines émissions TV. Quoi que lorsqu’on regarde des reportages sur l’évolution de ces maladies dans l’environnement agricole, on peut s’interroger. Chaque produit a sa fiche de sécurité. Quand vous la lisez, c’est un peu comme pour la notice d’un médicament avec ses effets secondaires. On se focalise surtout sur l’aspect technicité. Il faut faire attention aux produits que l’on emploie. Si le viticulteur doit garder à l’esprit l’aspect économique de son exploitation, c’est la santé humaine qui passe avant tout.»

Passer le relais à un vigneron bio

Jean-Luc Fabre va prendre la retraite. «Maintenant, tous mes traitements phytosanitaires sont effectués par un prestataire de services. Je fais attention aux produits qui sont employés même s’ils sont un peu plus chers. Je ne suis pas passé en bio pour autant. Mais je suis en réflexion pour mettre mes vignes en fermage. Rien n’est décidé mais mon souhait serait de voir s’installer un vigneron en bio.» Jean-Luc Fabre assure le relais départemental pour France Lymphome espoir. Contact : jean-luc.fabre11@orange.fr

Reconnu comme maladie professionnelle

Le décret du 5 juin 2015 du régime agricole reconnaît dans les hémopathies malignes, provoquées par les pesticides, le lymphome malin non hodgkinien comme maladie professionnelle. Sous réserve d’une durée d’exposition de 10 ans. Il vise les travaux exposant habituellement aux composés organochlorés, aux composés organophosphorés, au carbaryl, au toxaphène ou à l’atrazine lors de la manipulation ou l’emploi de ces produits, par contact ou par inhalation ; par contact avec les cultures, les surfaces, les animaux traités ou lors de l’entretien des machines destinées à l’application des pesticides.