2017, année de la surfusion ?
On ressent toujours un immense décalage suite à une distribution de tracts expliquant aux automobilistes qui passaient au rond-point de Soual, tout l’intérêt d’aménager la RN 126 actuelle. Distribuer un tract, échanger quelques mots, c’est comme une bouteille à la mer : on la lance sans vraiment savoir qui la recevra ni comment elle sera perçue.
Un petit contact humain, un mot, un sourire, nous renseigne quand même sur l’état d’esprit de notre interlocuteur d’un instant et permet de mesurer, malgré tout, l’étendue d’une réflexion profonde et claire sur un sujet d’importance comme celui de l’implantation d’une autoroute concédée. C’est de là que vient le décalage, de cette impression qu’immergés dans le matraquage indécent des proautoroutes, plus personne ne pense et que tous se laissent contaminer par des évidences qui n’en sont pas, par des slogans plutôt racoleurs et souvent indignes de toute ébauche d’analyse. Il n’en est rien. Les gens que nous croisons au hasard trouvent ce projet inutile, ils n’en veulent pas, ils ne veulent pas payer et comprennent bien que ce n’est pas leur intérêt. Même certains proautoroutes ont des arguments ambigus : « moi, c’est ma société qui paiera », ou « le péage sera de 4 euros », ou « mon mari construit des autoroutes »…
Cette matinée renforce un sentiment que le monde change mais ne le dit pas. C’est tout l’inverse d’une vision révolutionnaire planifiée. Chacun, par petites touches individuelles, par petits groupes, par moments, est en train de changer d’époque, d’entrer dans une mutation profonde, sans le dire, sans se le dire (trop) explicitement. Nous pouvons le mesurer dans notre vie quotidienne, en regardant notre rapport au numérique, à l’éducation en classe ou avec nos enfants, aux déplacements, à la nourriture, à la place des animaux. Des envies collectives s’expriment, là sur Facebook ou Twitter, là dans un café. Tout bouge très vite et le discours politique reste à la traîne. Les prophètes du passé, les visionnaires du 20ème siècle ont les méthodes et les discours de leur siècle, et ne font que regarder dans le rétroviseur. Le rapport au monde, à l’Autre, aux biens communs, aux biens matériels qui deviennent aussi des communs, à l’entraide, à la coopération, les rapports entre les hommes et les femmes, le rapport à la sécurité face aux actes terroristes, l’accueil que nous réservons aux populations déplacées par la guerre, appellent de nouveaux formats d’interprétation et de compréhension. Les mots posés sur ces mutations sont balbutiants, le langage s’invente ou se réinventent, tout comme les valeurs. Il y a un état de préparation au basculement qui est amorcé et dont nous ne pouvons avoir conscience. La bascule est en quelque sorte déjà faite mais nous ne parvenons pas encore l’appréhender. La surfusion est amorcée, cet état instable de l’eau qui reste liquide sous zéro et qui n’attend qu’une perturbation pour se cristalliser. Continuons tous à surfuser, nous parviendrons bien à faire bloc pour améliorer nos existences, sur notre belle petite planète.
Bonne et heureuse année 2017.
Stéphane DELEFORGE