Le groupe local eelv Tarn est pleinement impliqué dans le dossier du projet de barrage de Sivens sur le Tescou. Un avis a été rédigé par le groupe où nous réaffirmons notre opposition au projet démesuré de retenue, la volonté de promouvoir des alternatives raisonnables à la gestion de l’eau, et notre volonté de travailler aux côtés des agriculteurs pour engager une évolution du mode de production agricole.
avis déposé le 09 octobre 2012 en mairie de Lisle sur Tarn
UNE EAU DE QUALITE POUR TOU-TE-S
En préalable à l’avis concernant le projet de retenue de Sivens sur le Tescou, le groupe Europe Écologie – Les Verts Tarn tient, en premier lieu, à exprimer sa position vis-à-vis du milieu agricole.
L’agriculture et l’environnement ne sont pas antinomiques
EELV refuse la vision simpliste qui voudrait faire croire que les écologistes sont les ennemis des agriculteurs et souvent les propos des écologistes sont considérés comme dogmatiques et décalés de la réalité agricole. Or, les tenants de l’écologie ne sont pas les caricatures que certains nous présentent : des citadins déconnectés de la vie contemporaine, sans bon sens, ni mesure et sans connaissance du monde agricole et de la nature. Qu’ils soient ruraux ou urbains, issus du milieu agricole et vivant ou pas de l’activité agricole, les écologistes sont des citoyens qui militent pour que la société s’achemine progressivement vers un mode de vie durable en résolvant par l’action politique ses déséquilibres sociaux, économiques et environnementaux. En ce sens, le recours à des projets d’aménagement de grande envergure ne doit plus se faire sans l’exploration préalable d’autres voies plus sobres et tout aussi efficaces.
Les écologistes sont bien conscients des enjeux qui pèsent sur l’agriculture. En profonde mutation (aux plans démographique, social, culturel, économique et environnemental), l’agriculture subit la logique spéculative des marchés qui ne profite qu’à une minorité alors que le monde est dans une situation potentielle de nouvelle crise alimentaire.
Avec l’extension des surfaces urbanisées et l’érosion des sols agricoles, les terres agricoles et le potentiel agronomique se réduisent fortement. On consomme une ressource naturelle limitée à un rythme effréné. Dans un contexte de changement climatique, de coût croissant des énergies fossiles et des intrants, nous comprenons les craintes des agriculteurs de ne plus pouvoir disposer de suffisamment d’eau pour assurer les besoins des exploitations (abreuvement, irrigation).
Les divergences qui apparaissent entre les écologistes et une partie du monde agricole, loin donc de remettre en cause toute une profession, permettent de pointer des choix différents de modes de production et de gestion commune des ressources (eau, sol, végétal, énergies…). Au sein d’Europe Écologie les Verts, nous défendons une agriculture écologique, paysanne et productrice, qui passe par:
– une gestion économe des ressources du sol, du végétal et de l’eau, comme facteurs essentiels de la production,
– le soutien à l’installation, le développement de l’agriculture biologique, des circuits courts et l’incitation à l’usage d’aliments bio dans la restauration scolaire,
– une réforme de la fiscalité encourageant l’agro-écologie et appliquant le principe pollueur-payeur.
L’agriculture de la vallée du Tescou fait partie intégrante de l’identité tarnaise et représente une économie locale essentielle. Pour la préserver, la soutenir et la renforcer, nous devrons être capables d’associer toute la population pour atteindre l’objectif de durabilité qui s’impose à nous. Dans cette recherche qui défend avant tout l’intérêt général, nous souhaitons que l’usage des fonds publics se fasse avec bon sens, mesure et en toute transparence.
Le barrage n’est pas le projet d’avenir dont la vallée du Tescou a besoin
Dans le domaine de l’eau, nous privilégions une gestion collective et économe des ressources et la préservation des fonctionnalités des milieux aquatiques. C’est en favorisant la réduction des pollutions, des gaspillages et l’instauration d’une équité entre utilisateurs que l’eau, en tant que bien commun, peut devenir une ressource de qualité pour tou-te-s. Ces positions sont d’ailleurs inscrites dans la loi sur l’eau et le schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et il faut aujourd’hui les appliquer.
- · Une absence de concertation et de transparence sur un projet d’importance
Sur le projet de retenue de Sivens, nous regrettons l’absence de rencontres et de débat qui a conduit logiquement à des prises de position radicales de la part des uns et des autres. Un autre scénario aurait été envisageable, celui d’un débat public qui aurait permis de mettre en regard plusieurs approches de la gestion de l’eau dans la vallée. Manifestement, des freins ont empêché un tel débat, ce que nous regrettons d’autant plus que nous aurions pu nous appuyer sur la charte de la participation instaurée par le conseil général du Tarn.
Dans la mesure où le projet de retenue de Sivens est financé en totalité sur fonds publics, le citoyen et contribuable tarnais a son mot à dire. Il doit pouvoir être éclairé par des notes synthétiques objectives. Malheureusement, après analyse du dossier d’enquête et des articles de presse, nous faisons le constat que certaines pièces « éclairantes » des services compétents (avis de l’office national pour les eaux et les milieux aquatiques ONEMA, avis du Syndicat du Tescou, avis de la fédération de pêche, …) sont manquantes pour que le public ait une vision la plus large possible des enjeux. Pour apaiser les tensions et éviter que ne s’installe le doute quant à la poursuite de l’intérêt général plutôt que d’intérêts privés, il vaut toujours mieux prendre le temps nécessaire de l’explication et de la clarté.
- · La localisation du projet, sans égard pour la zone humide existante
Que l’agriculture locale ait besoin d’eau, c’est un fait que nous ne contestons pas mais pourquoi cela devrait se faire au prix de la destruction de l’unique zone humide de la vallée et de prairies naturelles exploitées pour l’élevage ? Cet écosystème riche de biodiversité joue pourtant un rôle fondamental de filtre et de réservoir utile (transfert d’eau en été) pour le cours d’eau.
- · Une étude aux impacts sous-évalués assortie de mesures compensatoires insuffisantes
Considérant les objectifs visés au titre de la Directive Cadre sur l’Eau (DCE) pour l’atteinte du bon état chimique en 2015 et du bon état écologique en 2021 de la mase d’eau, les impacts probables du projet sont, selon les avis de l’ONEMA et de la direction régionale de l’environnement de l’aménagement et du logement (DREAL), sous-estimés tant sur la retenue (augmentation de la température, eutrophisation) qu’à l’aval (rejets d’eaux anoxiques, matières en suspension et matières organiques). Dans ces conditions, le projet n’est pas compatible avec les objectifs de qualité. Un des impacts majeurs de la création de la retenue réside dans la submersion de 13 ha de zones humides et dans le risque de disparition de 5 ha de zones humides directement à l’aval. La compensation proposée à hauteur de 19,50 ha correspond à un ratio de 1,5, mais ce ratio n’est pas explicité en tant que tel. Quelle est la méthodologie qui a présidé au choix de ce ratio (proximité des parcelles vis-à-vis du projet, nature de la compensation…) ? De plus, les aires et mesures de compensation prévues ne remplaceront pas la destruction de l’existant, tant du point de vue hydrologie du milieu (réserve en eau, rôle tampon et restitution en été, filtration de l’eau, réservoir biologique …) que sur la faune et la flore qui en dépendent. On peut aussi se demander comment a été évaluée la compensation à mettre en place due au fait qu’une zone d’un seul tenant est remplacée par une multitude de parcelles ?
Le relevé des zones prévues pour la compensation ne dit rien sur le fait qu’aucun propriétaire ne soit intéressé par la cession de ces parcelles. Par ailleurs, comme cela doit se faire de nos jours dans le cadre de ce type d’étude, aucune évaluation des coûts-bénéfices du projet de retenue n’a été réalisée sur le plan social, économique et environnemental. Au final, ce volet nous semble incomplet et manque d’éléments tangibles en faveur d’une politique de sauvegarde et de reconquête des zones humides dans la vallée. Rappelons s’il en est besoin que ce barrage impliquerait la destruction de la plus importante zone humide du bassin qualifié de majeure et exceptionnelle pour la biodiversité dans le nord du Tarn.
- · Des objectifs essentiellement orientés vers l’irrigation avec la salubrité comme prétexte
En l’absence de gestion de l’eau à l’échelle de la vallée, il n’est pas concevable qu’un projet de retenue soit fonctionnellement conçu pour soutenir encore l’irrigation (70%) et secondairement pour le soutien d’étiage. Pour ce qui est du volume dédié à la salubrité, on peut s’interroger sur les incertitudes quant au remplissage de la retenue en hiver et des modalités de gestion hydraulique notamment de la gestion des débits réservés comme le fait l’Autorité Environnementale (DREAL), dans son avis du 9 juillet 2012 :
« Le maître d’ouvrage propose de retenir un débit réservé de 12 l/s, notamment pendant la phase de remplissage, en application de l’article L.214-18-1 du code de l’environnement. Toutefois, l’autorité environnementale rappelle que cette valeur ne constitue qu’un seuil en-dessous duquel le débit réservé ne doit pas descendre et que cette valeur doit être justifiée de manière à « garantir en permanence la vie, la circulation et la reproduction des espèces vivant dans les eaux au moment de l’installation de l’ouvrage » ».
L’objectif de salubrité qui justifie le projet de barrage ne paraît donc pas essentiel pour le maître d’ouvrage.
- · L’absence de gestion collective de l’eau dans la vallée
Alors que ce projet de retenue de 1,5 millions de mètrescubes est envisagé, aucune gestion de la ressource n’a été mise en œuvre à l’échelle de la vallée : les mesures du Plan de Gestion des Etiages (PGE) de 2004 n’ont pas vu le jour (économies d’eau, station de mesure des débits…). Une gestion raisonnée dans le temps des retenues collinaires déjà existantes (185), amélioreraient la situation du Tescou. Les conditions tarifaires (prix au m
3, etc.) auxquelles seront soumis les agriculteurs sont inconnues. Déjà le coût d’investissement du m
3 stocké à Sivens, payé sur fonds publics, serait de 2,5 fois plus cher que celui de son récent voisin le Thérondel ! Rien n’est dit sur la répartition du coût de fonctionnement qui sera supporté par chacun (collectivités publiques, agriculteurs). Avant tout projet de barrage, la mise en place de cette gestion collective des ressources existantes, prévue par le SDAGE, nous semble prioritaire.
- · Des financements 100% public, coûteux et démesurés face aux enjeux
En période de crise, alors que les pouvoirs publics devraient être dans une attention renforcée sur l’usage des financements, le coût de 7,8 M d’euros à payer semble bien lourd pour les contribuables. Des solutions de gestion alternatives seraient plus économique financièrement et plus efficace pour préserver la ressource en eau.
Pour l’émergence d’alternatives crédibles et durables en partenariat avec le milieu agricole
Si l’agriculture du XXe siècle s’est bâtie sur une opposition marquée entre production agricole et protection de l’environnement, de nos jours, elles sont désormais appelées à conjuguer leurs savoirs et leurs pratiques pour répondre aux besoins agricoles et aux attentes sociétales. Construire une agriculture performante et durable, optimiser la production à la surface tout en préservant les ressources naturelles, assurer la viabilité des exploitations sont les objectifs déclarés de la nouvelle Politique Agricole Commune. Le défi peut sembler difficile à relever, mais les solutions existent.
La présence et le comportement de l’eau sur un territoire sont dépendants de la qualité de son « paysage » végétal. On évalue à 80% la quantité d’eau d’une rivière provenant de l’espace agricole. Tout le territoire peut et doit contribuer au bon état de la ressource. Pour l’agriculture, préparer son avenir, préparer l’avenir du territoire passe par une évolution des pratiques agricoles et notamment par la restauration de la fertilité des sols : un sol toujours couvert, peu travaillé et vivant.
Évidemment, construire une retenue comme Sivens peut sembler plus simple et plus rapide que de travailler dans le temps à la construction d’alternatives acceptées et durables dans l’intérêt de tous. Une telle démarche, appliquée localement, basée sur un diagnostic partagé de la situation, pourrait associer les agriculteurs, qui souhaitent faire évoluer leurs systèmes, et leurs conseillers, qui les aident à imaginer des alternatives. Comme dans toute évolution, il faut pouvoir évaluer les pertes, mais aussi les gains, qui rendent acceptable le changement et permettent d’atteindre une plus value économique, écologique et organisationnelle. En ce sens, proposer un autre scénario reviendrait à soutenir un dialogue constructif, dépassionné associant les acteurs locaux à une recherche participative qui valorise en complémentarité les savoirs paysans, les innovations technologiques et les connaissances scientifiques.
Sur un bassin déficitaire comme celui du Tescou, il n’est plus temps de gérer la ressource en eau uniquement sur la constitution d’un nouveau stockage. L’avenir passe par une meilleure gestion de l’existant en privilégiant :
– l’organisation collective et la solidarité amont-aval dans la gestion des retenues collinaires,
– l’inventivité à développer des économies (récupération et stockage d’eau de pluie, réutilisation, goutte à goutte…),
– l’évolution des pratiques de travail et de conservation des sols pour favoriser la fertilité du sol, sa capacité de rétention d’eau, réduire l’érosion et favoriser l’infiltration de l’eau au profit des cultures.
– l’adaptation du choix des cultures en fonction du climat et de la structuration des débouchés en circuits courts.
De telles mesures seraient efficaces pour répondre aux objectifs de salubrité et de soutien d’étiage du Tescou, permettraient de maintenir et de renforcer une agriculture de qualité, et seraient économes financièrement et beaucoup plus respectueuses de l’environnement.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous contestons le bien fondé du projet de barrage ainsi que le caractère d’intérêt général qui lui est associé.
En vous priant par avance de bien vouloir prendre en considération ces éléments pour émettre votre avis, je vous prie de recevoir, Monsieur le Président de la Commission d’enquête, au nom des membres d’Europe Écologie les Verts Tarn, l’expression de mes respectueuses salutations
Stéphane DELEFORGE
secrétaire EELV Tarn