«Nous ne construirons rien sur l’agonie et les cendres d’une partie de la gauche»

Secrétaire nationale d’EE-LV, Emmanuelle Cosse est vice-présidente de la région Ile-de-France.
Trois semaines après les attentats et les mobilisations, la vie politique a repris… Le regrettez-vous ?
Nous ne pouvons pas repartir comme avant. J’ai entendu Manuel Valls parler de«l’esprit du 11 janvier». Il a raison. Mais cela oblige à agir, à mener une politique différente qui réponde à cet «esprit du 11 janvier» : plus de fraternité et de services publics, une vraie lutte contre les inégalités et la relégation. Une question s’impose à nous tous : comment des enfants de la République ont-ils pu tuer des symboles de la République ?
Valls doit-il changer de politique ?
Déjà, la méthode doit changer, avec un réel dialogue. Sur la sécurité, l’exécutif a écouté l’ensemble des forces politiques. C’est mieux que les invectives de Jean-Marie Le Guen [secrétaire d’Etat chargé des Relations avec le Parlement, ndlr], pour qui Cécile Duflot s’est «radicalisée». Sur le fond, le gouvernement ne peut continuer sa politique. Nous débattons de la loi Macron, qui ne répond en rien aux problèmes d’emploi, alors que nos concitoyens nous ont interpellés sur le vivre-ensemble, l’égalité…
L’agenda doit-il être bousculé ?
Je pose deux questions aux socialistes : que fait-on des deux années de mandat devant nous ? Où en est-on de la question démocratique ? Depuis les mobilisations, nous avons une responsabilité encore plus grande. Comment se fait-il qu’autant de Français se sentent sous-représentés ?
L’autre événement de janvier, c’est la victoire de Syriza en Grèce. En quoi est-ce une bonne chose ?
C’est une bouffée d’oxygène. Dans le pays le plus touché par l’austérité en Europe, ce n’est pas l’extrême droite qui l’emporte mais une nouvelle force de gauche. C’est une leçon pour ces responsables européens qui donnaient des leçons de démocratie à la Grèce… Si l’Europe veut l’aider, qu’elle l’aide à sortir des vieilles recettes, ni austérité ni simple relance économique mais une nouvelle industrie et un nouveau modèle de croissance. C’est aussi un défi envoyé à François Hollande. Il doit être en soutien de Syriza et réussir ce qu’il n’a pas fait : changer les règles en Europe.
Certains dans votre parti rêvent aussi d’un «Syriza à la française»…
Syriza a beaucoup évolué. Tsípras a travaillé à une coalition et a donc fait des compromis. Pour nous, écologistes, le compromis n’est pas quelque chose de négatif. Au contraire. Ceux qui, en France, veulent aujourd’hui l’imiter, tombent dans le piège de la Ve République en parlant d’alliance de partis politiques plutôt que de projets. Je n’ai pas de problème à discuter avec l’ensemble des partis, y compris le PS. Ne demandons pas de tickets d’entrée à la table de négociation. Je n’ai jamais cru à la guerre des gauches. Nous ne construirons rien sur l’agonie et les cendres d’une partie de la gauche. Je rappelle une réalité à tous : la gauche, toute bien pesée, a fait 30% aux européennes. La responsabilité pèse d’abord sur la politique gouvernementale mais tout le monde à gauche en a payé le prix.
Mélenchon imagine une «candidature commune» avec les écolos…
J’aime beaucoup Jean-Luc, un homme politique avec des idées fortes. Mais si la gauche connaît de telles difficultés, c’est aussi parce que le Front de gauche a manqué au gouvernement en 2012. L’urgence n’est pas de parler de 2017 mais de se remettre, sans exclusive, autour d’une table, et de construire un projet pour la France et l’Europe. Nous n’allons pas attendre le retour de cette croissance mystifiée pour répondre aux 5,5 millions de chômeurs, aux 8 millions de personnes qui vivent sous le seuil de pauvreté. Les écologistes posent une question : comment créer de l’égalité et de la solidarité demain dans un monde sans croissance ?
En même temps, vous avez signé un appel, Chantiers d’espoir, destiné à «construire l’alternative»…
Ma position est claire : sans perdre notre identité d’écologistes, ancrés à gauche, il faut participer à l’ensemble des initiatives qui interrogent notre capacité à gouverner et à entreprendre des réformes sociales et durables permettant de rompre avec le néolibéralisme.
Mais comment tenir une maison écolo avec Duflot, qui pose avec Mélenchon, et Placé, qui discute avec les centristes ?
Cette vision est caricaturale. Cécile a participé à un meeting avec Mélenchon pour soutenir Syriza, tandis que Jean-Vincent discute avec l’UDI sur la proportionnelle.
Vos candidats aux départementales préfèrent tout de même le Front de gauche au Parti socialiste…
Nous sommes sortis du gouvernement. Nous n’allons pas faire comme s’il n’y avait aucun problème avec les socialistes ! Mais ce qui doit nous animer en premier lieu, c’est l’écologie et l’urgence environnementale. Où est-on le plus utile ? Comment fait-on avancer nos idées dans une gauche qui reste productiviste ? Oui, il y aura des débats dans le parti : sur la stratégie à la présidentielle et aux autres élections.
Aux régionales ? En Ile-de-France ?
Les écologistes ont de très bons bilans. Si nous ne l’avions pas proposé en 2010, le pass Navigo à tarif unique en Ile-de-France n’aurait jamais existé. Il y aura donc des listes écologistes afin d’incarner le renouvellement politique. Y compris en Ile-de-France.
Recueilli par Lilian Alemagna
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